L’égalité devant la loi n’est pas garantie lors de l’appréciation de l’aptitude au service militaire avec limitations. Il existe en outre divers problèmes juridiques. En revanche, les processus d’appréciation dans les centres de recrutement sont efficients et organisés de manière opportune.
Le 25 janvier 2023, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) ont chargé le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA) de conduire une évaluation du service militaire avec limitations. La sous-commission DFAE/DDPS de la CdG du Conseil national (CdG-N), compétente en la matière, a décidé que l’évaluation devait se concentrer sur l’appréciation de l’aptitude au service militaire.
Le CPA a donc examiné les règles applicables à l’appréciation de l’aptitude au service militaire avec limitations. Le CPA a analysé les processus sur la base de documents et a demandé au personnel des six centres de recrutement de répondre à une enquête en ligne. Il a en outre mené des entretiens avec 26 personnes. Il a également fait réaliser une analyse statistique des décisions d’aptitude et un avis de droit. Pour l’essentiel, il est parvenu aux conclusions ci-après.
L’appréciation de l’aptitude est globalement efficiente et organisée de manière opportune
Chaque année, environ 35 000 personnes, réparties dans six centres de recrutement, font l’objet d’une appréciation de leur aptitude au service militaire. Les médecins disposent de deux à trois jours pour déterminer si, d’un point de vue médical, une personne est capable de supporter les contraintes psychiques et physiques du service militaire et est donc apte au service militaire. Selon le CPA, les examens menés pour l’appréciation de l’aptitude sont adéquats et les informations recueillies à cet effet sont appropriées. En outre, les processus permettent d’éviter que les tests et les examens fassent double emploi. Les processus garantissent qu’on détermine tout d’abord si un conscrit est apte au service militaire avant de lui attribuer, le cas échéant, une fonction pour l’école de recrues (ch. 4.2). Les analyses statistiques confirment que les décisions d’aptitude ne sont pas systématiquement influencées par des facteurs organisationnels. Ainsi, dans les mois qui précèdent le début des écoles de recrues, il n’y a pas plus ou moins de conscrits jugés aptes au service militaire. Le nombre de conscrits participant à un cycle de recrutement dans un centre n’a pas d’incidence sur les décisions d’aptitude qui y sont prises (ch. 5.2).
L’appréciation de l’aptitude au service militaire avec limitations n’est pas uniforme
Le CPA a interrogé les médecins des centres de recrutement, car ce sont eux qui décident si une personne sera éventuellement apte au service militaire avec limitations. La majorité d’entre eux ont indiqué que les catégories d’aptitude avec limitations étaient clairement définies et faciles à appliquer (ch. 3.2).
Sur la base de son analyse documentaire et de l’avis de droit, le CPA parvient toutefois à une autre conclusion. Il estime que les prescriptions médicales ne sont pas suffisamment précises. Par exemple, elles mentionnent certes l’aptitude réduite à la marche, à porter ou à soulever des charges ; mais elles ne précisent pas les critères permettant de déterminer si l’aptitude au service militaire est légèrement ou, au contraire, considérablement réduite (ch. 3.2). Le CPA note également l’absence de règles applicables à l’initiation des médecins à l’activité, avant leur engagement au sein d’un centre de recrutement (ch. 4.1.2). Enfin, il n’existe pas de directives en matière d’assurance qualité, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun contrôle systématique, sur la base de données concrètes, de l’uniformité des décisions d’aptitude prises par les différents centres et des processus qui y sont appliqués (ch. 4.1.3). Les analyses statistiques des décisions d’aptitude menées sur mandat du CPA montrent par conséquent que d’un centre à l’autre, la fréquence à laquelle les catégories d’aptitude avec limitations sont constatées varie fortement (ch. 5.1). De plus, la décision d’aptitude est très souvent modifiée en cas de recours. Cela soulève la question de l’objectivité des décisions d’aptitude (ch. 5.3.1). Dans l’ensemble, le CPA conclut qu’une appréciation uniforme de l’aptitude au service militaire avec limitations n’est pas garantie.
Les prescriptions légales ne sont parfois pas respectées lors de l’appréciation de l’aptitude
Dans les six centres de recrutement, les prescriptions légales ne sont pas respectées dans deux domaines essentiels de l’appréciation de l’aptitude. Premièrement, la décision d’aptitude devrait être prise par une commission composée d’au moins deux médecins incorporés comme médecins militaires ou engagés par l’armée et il incombe au président ou à la présidente de cette commission de notifier la décision d’aptitude au conscrit. Or, dans la pratique, ce n’est plus le cas depuis longtemps : par exemple, la décision est prise par une seule personne (ch. 4.1.1).
Deuxièmement, l’échange d’informations entre les services impliqués dans les centres de recrutement n’est pas conforme au droit. Depuis des années, le Service spécialisé Contrôles de sécurité relatifs aux personnes (CSP), qui apprécie le risque que représentent les conscrits pour la sécurité, partage systématiquement des informations sur des conscrits avec les médecins des centres de recrutement. De leur côté, les médecins partagent régulièrement des informations sur des conscrits avec le Service spécialisé CSP. Or, les informations relatives à des condamnations pénales et à l’état de santé sont des données personnelles sensibles, qui font l’objet d’exigences élevées dans la loi. Ainsi, le Service spécialisé CSP ne peut partager des informations que s’il existe des signes de risques immédiats pour la sécurité. Quant aux médecins, ils ne sont libérés du secret professionnel que si des indices laissent présumer que le conscrit pourrait utiliser son arme personnelle d’une manière dangereuse. Une directive datant de 2014 ne mentionne pas ces exigences, mais donne l’impression que l’échange d’informations est pratiquement illimité. Selon l’avis de droit, cette directive ne respecte donc pas le cadre légal. L’échange d’informations et la directive concernée ne sont donc pas conformes au droit (ch. 3.3).
L’aptitude au service militaire et le droit de recours ne sont pas suffisamment ancrés dans la législation
Tous les hommes de nationalité suisse majeurs doivent effectuer un service militaire. L’appréciation de l’aptitude au service militaire permet de décider si un conscrit peut effectuer du service ou s’il doit acquitter d’une taxe d’exemption. L’avis de droit qu’a mandaté le CPA parvient à la conclusion que, malgré la portée d’une telle décision, l’aptitude au service militaire et les catégories d’aptitude ne sont pas suffisamment ancrées dans la loi. Aucune ordonnance ne définit les critères d’appréciation de l’aptitude au service militaire, pas même dans les grandes lignes, et ces critères ne sont donc pas non plus accessibles au public (ch. 3.1).
En cas de recours contre une décision relative à l’aptitude au service militaire, la loi exclut tout recours devant une instance supérieure. Si cette situation est conforme au droit, le problème est que ni le Conseil fédéral ni le législateur n’en ont présenté les raisons. L’avis de droit estime que, d’un point de vue constitutionnel, cette restriction des voies de droit mériterait une justification plus approfondie. Enfin, il est problématique que la loi ne confère aucun droit de recours aux conscrits qui sont jugés inaptes au service militaire lors du recrutement, même s’il faut noter que, dans la pratique, ce droit leur est déjà accordé aujourd’hui (ch. 3.4).