Key words
(English)
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Tree regeneration, pasture woodlands, forest, altitudinal gradient, temperature, precipitation, quantitative leaf anatomy, xeromorphy, plasticity
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Abstract
(French)
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Le but du projet CLIMARBRE a été d’étudier la croissance, la phénologie, la morphologie et l’anatomie foliaire, ainsi que la réponse éco-physiologique aux changements climatiques de deux espèces d’importance majeure (hêtre et épicéa) d’un point de vue écologique et économique dans le paysage jurassien. Le projet s’est concentré sur les jeunes stades de développement de ces deux espèces (hauteur moyenne de 33 cm pour le hêtre et 31 cm pour l’épicéa, pour des âges des plantules entre 4 et 8 ans), car leur faculté d’acclimatation et de régénération dans un contexte de changement climatique sera déterminante pour le devenir des paysages sylvo-pastoraux du Jura et pour les mesures de gestion adaptative. Nous avons testé, le long d’un gradient altitudinal dans le Jura vaudois la réaction de croissance et la capacité d’acclimatation de jeunes arbres prélevés avec leur sol en montagne (site donneur à 1350 m), puis transplantés à de plus basses altitudes dans des conditions plus chaudes et plus sèches (sites receveurs à 1010, 570 et 395 m) de manière à simuler trois variantes de scénarios IPCC de réchauffement climatique (A1B et A2).
La transplantation dans les trois sites receveurs a exposé les jeunes arbres à des températures plus élevées (plus de 6 °C en moyenne aux basses altitudes par rapport au site donneur) et des précipitations réduites (jusqu’à 47% de moins à la plus basse altitude comparé au site contrôle) durant la période de végétation. Le déficit de pression de vapeur de l’air (VPD) résume le mieux les conditions de stress subies par les plantes aux différentes altitudes. A cet égard, l’année 2015 a été celle avec les valeurs les plus élevées à toutes les altitudes (entre 119 jours à 1350 m et 456 jours à 570 m au-delà de 1.5 KPa durant la période de végétation), 2014 a été la moins extrême (entre 33 et 92 jours au-delà de 1.5 KPa) et 2013 a été intermédiaire. Avec le réchauffement induit par la transplantation, les deux espèces ont été capables d’avancer le débourrement de leurs feuilles et aiguilles, l’épicéa ayant démarré environ 15 jours après le hêtre.
L’accroissement de biomasse, mesurée au moyen de modèles allométriques, des jeunes hêtres durant la période 2013-2015 a été significativement plus grande à la plus basse altitude (395 m) par rapport au site donneur (1350 m). Étonnamment, l’épicéa n’a pas augmenté significativement sa biomasse à la plus basse altitude par rapport au site donneur pendant la même période de croissance. Au cours de la saison de croissance 2013, et en tenant compte du nombre de jours de croissance dans chaque site, les jeunes hêtres dans les sites les plus bas ont produit plus de 1% de leur biomasse initiale par jour de plus que les plantes témoins dans le site donneur. En revanche, les jeunes épicéas n’ont pas poussé plus que ceux dans le site de contrôle et n’ont pas montré de réponse au gradient altitudinal. Au cours de l'année 2014, tous les jeunes arbres ont poussé plus que les arbres du site contrôle des deux espèces à 1350 m. Finalement, les individus qui ont poussé à basse altitude en 2015 ont présenté un déclin de la croissance par rapport à ceux du site donneur, à l’exception du hêtre à 1010 m. Ces résultats peuvent être mis en relation avec un VPD élevé. En revanche, les mesures de la capacité photosynthétique effectuées en 2013 et 2014 n’expliquent pas les différences observées au niveau de l’accroissement de biomasse, car cette capacité est apparue plus faible à basse altitude que dans le site donneur en altitude, pour les deux espèces. En ce qui concerne l’allocation de la biomasse (mesure directe par récolte en 2014), la masse sèche des différentes parties de l’arbre montre un pourcentage plus élevé de biomasse souterraine pour le hêtre, alors que l’épicéa a un pourcentage de feuilles notablement plus élevé par rapport au hêtre.
L’avancement et le retard de l’éclosion des bourgeons du hêtre provoqués expérimentalement par une transplantation réciproque aux deux altitudes extrêmes du gradient altitudinal, ce qui a créé des conditions avec des hivers plus chauds ou plus froids, a significativement impacté la phénologie à l’automne suivant : un débourrement précoce au printemps a entraîné une formation précoce des bourgeons d’automne. Le retard potentiel du processus de sénescence, souvent préconisé en relation avec le réchauffement global, pourrait être moins important que prévu, de même que l’extension de la durée de la période de végétation. Après le débourrement des feuilles, on a observé un incrément de la concentration de l’azote (NBI) avec la maturité des feuilles, jusqu’à un certain seuil, qui dépendait de l’altitude à laquelle les arbres ont poussé. Le suivi de la sénescence foliaire a montré qu’il existe une corrélation entre la coloration de la feuille, le taux d’azote dans la feuille et le taux d’assimilation du CO2.
Malgré des différences ontogénétiques importantes, les deux espèces ont montré des modifications significatives de la morphologie de leur feuillage en réponse avant tout à l’augmentation des températures à plus basse altitude, quelle que soit l’échelle structurale considérée. En outre, et suite aux conditions climatiques contrastées pendant les saisons de végétation 2013 et 2014, ces changements ont connu une forte variabilité interannuelle. En particulier chez le hêtre, les changements structuraux observés ont globalement signifié une augmentation des caractéristiques xéromorphiques du feuillage. Malgré leur xéromorphie constitutive et une adaptation intrinsèque à des conditions hydriques plus contraignantes, différents ajustements morpho-anatomiques ont également été observés dans les aiguilles d’épicéa. Les paramètres montrant la plus grande plasticité phénotypique comprenaient la surface foliaire et la masse foliaire par unité de surface chez le hêtre versus la surface transversale des aiguilles et la surface relative des canaux à résine chez l’épicéa.
Le rapport C/N microbien a augmenté à basse altitude chez le hêtre, ce qui n’a pas été pas observé pour l’épicéa. Ces résultats donnent une indication que les deux espèces ont une influence différente sur le sol quand ils sont exposés au même changement des conditions climatiques.
Dans ce projet, à la fois le hêtre et l’épicéa ont montré, avec la transplantation, une acclimatation de la morphologie et de l’anatomie foliaire à des environnements plus chauds et secs à basse altitude. Le hêtre a été davantage capable que l’épicéa de profiter des conditions plus chaudes de basse altitude pour l’accroissement de biomasse et de plus, cette espèce a moins réduit sa croissance lors des périodes sèches.
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