La manière dont le Parlement participe dans le domaine du droit souple n’est que partiellement opportune. Les droits du Parlement en la matière sont étendus en comparaison internationale, mais ils nécessitent d’être interprétés, et l’ordonnance limite dans les faits le champ de participation. La pratique de l’administration fédérale étant hétérogène, celle-ci a entrepris des démarches pour l’harmoniser. En outre, les compétences des commissions parlementaires ne sont pas claires.
Avec l’accord des Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG), les Commissions de politique extérieure (CPE) ont, en été 2020, chargé le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA) de procéder à une évaluation de la participation du Parlement dans le domaine du droit souple.
À sa séance du 10 novembre 2020, la sous-commission « Participation du Parlement dans le domaine de droit souple (soft law) » des CPE a décidé que l’évaluation devait porter sur la pratique de l’administration fédérale pour informer ou consulter le Parlement lors de projets de droit souple et se pencher également sur le cadre juridique en Suisse en comparaison avec d’autres pays.
Pour ce faire, le CPA a attribué un mandat externe pour la réalisation d’un avis de droit portant sur le cadre juridique suisse et la comparaison juridique internationale, se basant sur des rapports juridiques nationaux réalisés par l’Institut suisse de droit comparé (ISDC) sur mandat du CPA. Ce dernier a analysé la pratique suisse en s’appuyant sur cinq études de cas de projets de droit souple, dans lesquels la participation du Parlement a été examinée sur la base d’analyses de documents et d’entretiens. En outre, le CPA a mené des entretiens avec tous les départements et les secrétariats des commissions parlementaires concernées et a examiné les directives existantes. Les résultats les plus importants de l’analyse sont présentés ci-après.
Les droits de participation étendus du Parlement suisse reflètent la répartition des compétences en matière de politique extérieure (ch. 3.1)
Selon la Constitution suisse, l’Assemblée fédérale et le Conseil fédéral exercent la responsabilité de la politique extérieure de manière imbriquée comme « les doigts d’une même main », ce qui confère au pouvoir législatif une position forte, unique en comparaison internationale. Ces compétences prononcées du Parlement suisse se traduisent par des droits de participation plus étendus que dans les autres pays analysés (ch. 3.1).
La loi concrétise la participation parlementaire mais nécessite d’être interprétée, tandis que la disposition dans l’ordonnance est déficiente (ch. 3.2 et 3.3)
La loi sur l’Assemblée fédérale (LParl) est opportune dans la mesure où elle concrétise les instruments et les procédures de participation du Parlement dans la politique extérieure, mais elle nécessite d’être interprétée (ch. 3.2). Par contre, l’article de l’ordonnance, précisant les objets pour lesquels le Conseil fédéral doit consulter le Parlement, est déficient à divers égards. D’une part, la précision a été apportée au niveau de l’ordonnance au lieu de la loi, ainsi que par le Conseil fédéral au lieu du Parlement. D’autre part, l’article n’est pas formulé de manière précise et il restreint le champ d’application de la loi, non pas sur le plan juridique, mais dans la pratique (ch. 3.3).
Les unités administratives sont concernées à des degrés divers par le droit souple et leur pratique est hétérogène et globalement peu systématique (ch. 4.1)
Le CPA a compilé une liste des projets de droit souple traités par l’administration fédérale qui permet de constater que l’ensemble des départements sont concernés par le droit souple, mais à des degrés divers. De nombreuses unités administratives du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI) et le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) sont particulièrement touchés. En ce qui concerne l’approche pour déterminer si le Parlement doit être informé et consulté sur un projet, l’évaluation montre que la démarche n’est globalement pas systématique et qu’elle diffère : certains vérifient d’abord s’il s’agit d’un projet de droit souple avant d’examiner s’il est important et s’il faut donc impliquer le Parlement, tandis que d’autres se focalisent sur la question de l’importance, sans identifier en détail s’il s’agit de droit souple (ch. 4.1). La première approche n’est pas opportune car la participation du Parlement ne se limite pas au droit souple, mais il convient de clarifier la nature de l’activité de politique extérieure en question pour pouvoir définir le seuil d’importance pertinent et ainsi déterminer la participation du Parlement (ch. 3.2).
Les procédures relatives au droit souple posant problème, un aide-mémoire bienvenu est en train d’être élaboré (ch. 4.2 et 4.3)
Compte tenu des formes variées et évolutives des projets de droit souple et de leur processus de création, la définition du droit souple dans le rapport du Conseil fédéral et les explications fournies pour l’identifier permettent de guider la pratique, mais ne sont pas suffisamment claires et précises pour dégager un jugement univoque (ch. 4.2). En raison de l’application incohérente des procédures relatives au droit souple, le DFAE a mis en place de manière proactive un groupe de travail sur le droit souple qui a permis la sensibilisation des départements à la thématique et l’élaboration d’un aide-mémoire sur le droit souple. Représentant un outil bienvenu pour guider la pratique, la version actuelle de cet aide-mémoire ne reflète toutefois pas le champ complet de participation du Parlement (ch. 4.3).
Les compétences des commissions parlementaires en matière de participation ne sont pas claires (ch. 3.4 et 5.2)
Les « commissions compétentes en matière de politique extérieure », qui ont le rôle principal dans la participation à la politique extérieure selon la LParl, sont les CPE, même si la loi ne l’indique pas explicitement (ch. 3.4). L’analyse de la pratique met en exergue que les unités administratives ne savent pas toujours quelle commission parlementaire impliquer. D’autres commissions que les CPE sont régulièrement informées ou consultées par l’administration fédérale, même sans demande spécifique. Dans ce contexte, l’information ou la consultation obligatoire des CPE n’amène qu’une plus-value limitée dans certains cas. Par ailleurs, la transmission des informations pertinentes aux autres commissions compétentes par les CPE ne s’effectue pas de manière systématique, en raison de la masse d’information à traiter et des règles d’accès aux documents (ch. 5.2).
L’information et la consultation du Parlement sont complémentaires, mais ne peuvent pas toujours être utilisées de manière effective (ch. 5.1 et 5.3)
En principe, l’information, en tant que communication unidirectionnelle, et la consultation, en tant que communication bidirectionnelle, entre l’exécutif et le législatif, sont complémentaires. Toutefois, les analyses du CPA montrent que, dans la pratique, il n’est pas évident pour certains départements de choisir laquelle adopter et à quel moment. L’administration fédérale utilise différentes listes pour informer les commissions parlementaires des événements importants en politique extérieure, ce qui permet à ces dernières de disposer régulièrement d’une vue d’ensemble, même si le contenu et la forme de ces listes ne sont pas optimaux. En ce qui concerne la consultation, la position du Conseil fédéral n’est pas toujours suffisamment étayée dans les documents pour permettre aux commissions une prise de position éclairée (ch. 5.1). En outre, la loi exige une implication précoce du Parlement, mais il est difficile pour l’administration fédérale de trouver le moment opportun, en raison du caractère évolutif du droit souple, ainsi que du calendrier des commissions parlementaires et des organisations internationales ou organes multilatéraux. Depuis le cas du Pacte mondial sur les migrations, des efforts ont été consentis par l’administration fédérale pour effectuer une consultation pendant que l’instrument de droit souple peut encore être façonné (ch. 5.3).