Le Contrôle fédéral des finances (CDF) a examiné la pratique de restitution des avoirs illicites. Il s’agit des fonds de potentats et de personnes politiquement exposées (PPE) bloqués, puis confisqués à l’issue d’une procédure judiciaire. La Confédération s’engage à restituer les fonds aussi rapidement que possible, de manière transparente. Les projets financés grâce à ces fonds doivent bénéficier aux populations victimes des actes de corruption. Il s’agit en outre d’éviter que des fonds d’origine douteuse viennent en Suisse.
La Confédération a restitué quelque 2 milliards de dollars ces 20 dernières années concernant une dizaine d’affaires. Près d’1 milliard de dollars pourrait être restitué dans les années à venir. Après le printemps arabe, les fonds Abacha au Nigéria, d’autres affaires continuent de défrayer la chronique, comme les scandales 1MDB en Malaisie, Petrobras au Brésil ou encore l’affaire Karimova en Ouzbékistan.
D’une manière générale, le CDF estime que la Confédération doit poursuivre son action en renforçant la cohérence entre les différentes bases légales et en précisant les critères en vue d’une restitution. Plus de transparence s’impose sur l’emploi des fonds bloqués puis confisqués. Une meilleure intégration des différentes stratégies de lutte contre la corruption et le blanchiment est nécessaire, en particulier dans la communication.
Manque de cohérence au niveau des règles et absence de critères clairs pour les restitutions
La loi fédérale de 2016 sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite a un caractère subsidiaire et ne concerne que les cas exceptionnels d’un changement brusque de régime. Elle n’a été que peu appliquée. Elle comporte des notions difficiles à mettre en œuvre comme la situation de défaillance de l’appareil judiciaire d’un Etat. L’entraide judiciaire internationale et les procédures pénales en Suisse restent les principaux canaux d’investigation. Ceux-ci relèvent d’autres bases légales et ne prévoient pas de conditions pour la remise des fonds. Les restitutions sur la base d’un accord négocié entre la Confédération et l’Etat requérant pour l’usage des fonds rendus font figure d’exception. Il n’existe pas de critères clairs expliquant pourquoi les restitutions suivent telle voie plutôt qu’une autre. Ceci nuit à la cohérence de l’action de la Confédération.
Corolaire de cette situation, il n’existe pas de vue d’ensemble des affaires concernant des PPE ni de ce qu’il advient des sommes bloquées. Seuls les cas pour lesquels des modalités de restitution sont définies font l’objet d’un suivi par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Les informations relatives aux affaires de restitution sans condition s’agissant de PPE sont très disparates et incomplètes. Elles sont dispersées entre l’Office fédéral de la justice (OFJ) et les procureurs. A titre d’illustration, l’OFJ a remis 20 millions de francs entre 2015 et 2019 en vertu de l’entraide internationale. Fin 2019, le Ministère public de la Confédération a restitué plus de 400 millions de francs au Brésil dans le cadre de l’affaire Petrobras. En 2018, quelque 88 millions de francs sont revenus à la Confédération en vertu de l’entraide et 36 millions suite à des procédures pénales fédérales.
Gestion des attentes difficile à concilier avec la durée des procédures
Les affaires mêlant des PPE, voire des anciens dirigeants, génèrent de fortes attentes dans les pays concernés. Le décalage est grand entre la durée des procédures judiciaires et les préoccupations politiques. Il faut compter entre 10 et 15 ans pour avoir une décision de confiscation. La Confédération a souvent promis trop de résultats et trop rapidement. Pourtant, les autorités fédérales ne se fixent pas de délais, ni d’objectifs en interne. Cela génère de la frustration et un réel décalage par rapport aux intentions affichées.
Le DFAE a pérennisé ses ressources garantissant le maintien des compétences existantes.
Un groupe interdépartemental est dévolu au suivi de cas impliquant des PPE. Il a une vision large des affaires politiquement sensibles. Ses activités se limitent cependant à un seul échange d’informations. Il ne contribue pas à la prise de décision et n’a pas de rôle dans les activités opérationnelles.
Processus de négociation mieux formalisé et faible implication de la société civile
Pour les restitutions faisant l’objet d’une négociation, le DFAE a tenu compte des expériences pour améliorer son approche. Le processus est devenu plus structuré et le DFAE ne s’engage dans des négociations qu’une fois les fonds définitivement confisqués. Par le passé, des discussions sur une possible affectation des fonds restitués avaient lieu avant les négociations. Le CDF s’étonne toutefois qu’une autorité judiciaire puisse imposer une décision au DFAE sans discussion préalable sur sa mise en œuvre.
Le DFAE adopte une approche pragmatique et cherche des solutions sur mesure, selon la situation. Hormis le fait de ne pas restituer les fonds sans condition, le DFAE n’a défini que peu de critères contraignants, en particulier pour un monitoring externe et l’implication de la société civile. Il les adapte en fonction du contexte.
Le CDF a constaté que la mise en œuvre des accords récents se fait selon les modalités prévues. Déléguer l’exécution des programmes à des organisations internationales n’est pas une garantie suffisante en matière de transparence. Le DFAE adopte le plus souvent un profil bas durant la réalisation des projets. Présenté comme un grand principe des restitutions, l’engagement de la société civile dans le suivi reste une exception.
Engagement au niveau international : des initiatives mais une dispersion des moyens
La Suisse figure parmi les premiers pays s’engageant activement. Au niveau international, le DFAE a pris des initiatives afin de valoriser les expériences suisses. Il cherche à promouvoir des règles communes et à concrétiser les principes adoptés dans les conventions internationales concernant les restitutions. Le CDF estime que l’absence de critères clairs pour des restitutions avec ou sans conditions brouille l’action de la Confédération et sa cohérence, en Suisse comme à l’étranger. De surcroît, la Suisse peine à trouver des soutiens parmi les pays du Sud et les pays émergents.
L’éparpillement des ressources au sein de la Confédération entre différents groupes de travail interdépartemental actifs dans la lutte contre la corruption et le blanchiment empêche d’avoir une vue d’ensemble. Ceci nuit aux efforts de communication vis-à-vis de l’extérieur.