Il ne se passe pas un jour sans que la politique extérieure de la Suisse retienne l’attention des médias : participation de la Suisse à une conférence internationale ou négociations avec l’Union européenne, signature d’un accord avec un autre pays ou voyage à l’étranger d’un membre du Conseil fédéral. Dans bien des cas, les commentaires font état de difficultés ou de désaccords et donnent donc l’impression que la Suisse peine à défendre ses intérêts. D’aucuns auront aussi relevé que les négociations ne sont souvent pas dirigées par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), mais par un autre département. Le DFAE a pourtant pour mission ? en collaboration avec les autres départements – de veiller à représenter et à défendre au mieux les intérêts de la Suisse et à assurer la cohérence de sa politique extérieure. Cette mission ne peut être remplie que si les différentes entités de la Confédération collaborent et coordonnent leurs activités.
Les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) s’étaient déjà penchées sur la question de la coordination de la politique extérieure de la Suisse dans les années 1990. Elles avaient alors estimé qu’en raison de l’internationalisation croissante, cette tâche de coordination était devenue non seulement plus difficile, mais aussi plus urgente. Depuis, les relations de la Suisse avec l’étranger ont été mises à rude épreuve, notamment si l’on songe au dossier fiscal ou au litige avec l’Allemagne portant sur le trafic aérien à destination et au départ de l’aéroport de Zurich. Conscientes de l’ampleur du défi, les CdG ont chargé le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA) de se pencher sur la collaboration interdépartementale dans le domaine de la politique extérieure. Le CPA s’est acquitté de son mandat en interrogeant un vaste échantillon de personnes travaillant à cette collaboration à des niveaux hiérarchiques divers dans différentes entités de la Confédération.
Aperçu des résultats
La bonne nouvelle, c’est que, de l’avis des personnes interrogées, la collaboration interdépartementale dans le domaine de la politique extérieure fonctionne bien dans l’ensemble. Les bémols à ce constat se rapportent à quelques situations conflictuelles ainsi qu’à certains domaines politiques apparemment confrontés à des problèmes majeurs. D’une manière générale, les départements ont la volonté de collaborer. Par conséquent, les positions ou solutions adoptées sont consensuelles, pertinentes et durables.
L’enquête de le CPA a cependant aussi révélé que les conditions générales de la collaboration n’étaient pas clairement définies et qu’il existait peu de consignes ou de directives auxquelles se référer en cas de litige ou de problèmes. De tels garde-fous viendraient d’ailleurs restreindre l’indépendance des différents acteurs. Ce qui inquiète le plus le CPA, c’est le manque de vue d’ensemble relevé dans le domaine de la politique extérieure ainsi que l’inadéquation de certaines procédures de collaboration à la complexité croissante des dossiers.
Une vue d’ensemble insuffisante
Ce qui manque à la politique extérieure de la Suisse, c’est une vue d’ensemble générale permettant au moins de définir les principaux intérêts du pays et, le cas échéant, d’établir un ordre de priorités. Si l’absence d’une telle conception synoptique peut conduire à des incohérences, voire à l’adoption de positions contradictoires, elle comporte avant tout le risque d’occulter les liens pouvant exister entre différents dossiers et donc celui de voir les autorités intéressées rater des occasions de mieux défendre certains intérêts majeurs par la négociation de concessions « croisées ».
À l’heure actuelle, chaque département bénéficie d’une grande autonomie dans la poursuite des intérêts relevant de son domaine spécifique. Le DFAE, qui est chargé par l’ordonnance sur son organisation de conduire la politique étrangère de la Suisse et de coordonner les mesures de sauvegarde des intérêts du pays, n’est pas consulté systématiquement ou n’est souvent contacté que trop tardivement. Or, c’est précisément en changeant cet état de fait que l’on parviendrait à améliorer la vue d’ensemble. Le DFAE pourrait ainsi détecter les sujets et les intérêts importants, attirer l’attention des organes administratifs impliqués sur des rapports potentiels avec d’autres dossiers et les épauler dans la définition de leurs positions, dans la mise en place de solutions ou dans les négociations en perspective. Cela permettrait de garantir que les intérêts des différentes entités de l’administration sont connus lorsque des décisions de politique extérieure doivent être prises et qu’ils sont bien hiérarchisés afin de rendre possible, le cas échéant, certaines concessions croisées. Il n’appartient par contre pas au DFAE de définir lui-même ces priorités ou de décider de contenus spécialisés.
Comme les compétences en matière de collaboration dans le domaine de la politique étrangère ne sont pas suffisamment claires et que les directives à ce sujet font défaut, cette coopération ne fonctionne pas toujours de manière satisfaisante à l’heure qu’il est. Dans le contexte des rapports avec l’Union européenne, il existe pourtant un concept qui permet aux interlocuteurs non seulement d’avoir une bonne vue d’ensemble, mais aussi de bien harmoniser leurs positions. Il se peut que cette approche puisse aussi être utile dans les rapports avec d’autres pays ou organismes particulièrement importants dans la perspective de la Suisse.
Des procédures de collaboration lentes
La collaboration interdépartementale fonctionne et aboutit généralement à des positions consensuelles et pragmatiques. Il n’est cependant pas rare que la recherche d’une solution prenne beaucoup de temps. Le fait est que la meilleure des positions ne sert plus à rien si la situation a évolué entre-temps et si la solution envisagée devient caduque avant d’avoir pu être présentée.
Cette lenteur s’explique par le nombre de mécanismes de consultation qui caractérisent le système politique suisse. Si ces mécanismes restent bien adaptés à de nombreux dossiers parce qu’ils permettent – nous l’avons souligné – l’obtention de solutions consensuelles et pragmatiques, ils sont, de l’avis de nombreuses personnes consultées, trop complexes et trop lents dans certaines situations pour être appliqués à la collaboration interdépartementale dans le domaine de la politique extérieure. Le CPA partage cet avis, estimant lui aussi que la souplesse et la capacité de réaction de la Suisse doivent être augmentées. Dans cette perspective, la mise en place de procédures de coordination mieux adaptées à certaines situations spécifiques devrait être examinée.
Dans le cadre de ses réflexions sur la lenteur des procédures, le CPA a aussi abordé le sujet du temps nécessaire à la participation des cantons et du Parlement. Les personnes interrogées ont estimé que cet aspect du problème ne devait pas être négligé lors des discussions visant à trouver des solutions permettant d’accélérer la réponse de la Suisse à certaines évolutions dans le domaine de la politique extérieure.