Calcul des revenus agricoles
Evaluation du calcul des revenus par exploitation ainsi que des mesures de réforme
L'article 104 de la Constitution confie à l'agriculture suisse un mandat de prestations multifonctionnel. Les dépenses publiques destinées à financer les prestations agricoles d'intérêt général sont élevées. Les paiements directs, dont le but est de rémunérer équitablement les prestations fournies par les agriculteurs, constituent un instrument permettant d'atteindre les objectifs. Selon l'art. 5 de la loi sur l'agriculture, il s'agit de «permettre aux exploitations remplissant les critères de durabilité et de performance économique de réaliser, en moyenne pluriannuelle, un revenu comparable à celui de la population active dans les autres secteurs économiques de la même région». L'ordonnance sur l'évaluation de la durabilité de l'agriculture règle les modalités relatives à la mesure et à la comparaison des revenus.
Pour calculer les revenus agricoles, la Confédération s'appuie sur divers instruments. La présente évaluation porte principalement sur le calcul des revenus effectué par le service Dépouillement centralisé de la station de recherche Agroscope Tänikon-Reckenholz sur la base d'un échantillon représentatif d'exploitations agricoles. Les coûts annuels inhérents au calcul des revenus s'élèvent à quelque 2,7 millions de francs au total. En contrepartie, le Dépouillement centralisé fournit à la recherche fondamentale et à la recherche appliquée un grand nombre de données et d'analyses dans l’accomplissement de ses mandats et tâches politiques.
Le calcul des valeurs en matière de revenus par exploitation fait depuis longtemps l'objet de débats parfois critiques au niveau technique et politique. Les principales critiques concernent le modèle de calcul et sa mise en œuvre ainsi que l'utilisation des valeurs de revenus provenant de l'agriculture. Dans ce contexte, le Contrôle fédéral des finances (CDF) a examiné les éléments suivants du système actuel de calcul et de comparaison des revenus: conditions cadres, systématique, adéquation, fiabilité, rapports et utilisation des résultats.
Une transparence élevée, mais des résultats statistiques laissant une grande marge d’interprétation
Le secteur agricole fait l'objet de bien des études, ce qui se traduit par un grand nombre de données de qualité élevée en ce qui concerne les indicateurs économiques du secteur, et les revenus en particulier. Un examen plus approfondi du secteur agricole montre d'importantes différences structurelles entre les exploitations en fonction de leur type, de leur production, de leur taille, de la région dans laquelle elles se situent, etc. De plus, la diversification croissante des sources de revenus qui s'ajoutent à celles des activités purement agricoles est devenue, en Suisse aussi, une réalité. Le secteur agricole se caractérise, au fil du temps, par une forte volatilité, l'évolution à long terme de ses structures étant influencée à court terme par les conditions météorologiques et le marché. Le calcul des revenus des exploitations agricoles n'offre toutefois qu'un aperçu limité de la situation économique des familles paysannes. Par exemple, pour bon nombre d'exploitations, les revenus provenant des activités non agricoles devraient être davantage intégrés dans les analyses de situation, car ils ont au moins autant d'importance que ceux provenant des activités agricoles.
Le nombre et la qualité élevés des données contrastent souvent avec la brièveté et la simplicité des rapports. Des progrès sont donc nécessaires afin que les analyses et les rapports tiennent compte de l'hétérogénéité et de la volatilité du secteur. Les moyennes simplificatrices et agrégées doivent être mieux placées dans le contexte et une année isolée doit être considérée dans l'évolution à long terme. Or ces exigences ne sont qu'en partie remplies, notamment dans le cadre des rapports destinés à un large public.
Calcul actuel des revenus: défauts, réforme prévue
Le système actuel de calcul des revenus par exploitation, qui se fonde sur un échantillon d'exploitations de référence, présente plusieurs défauts. D’une part, l'échantillon n'est pas représentatif. En raison de la difficulté des relevés, il est plutôt composé d'exploitations supérieures à la moyenne, certains types d'exploitation (par ex. les cultures maraîchères) et certaines régions n'étant pas représentés ou ne l'étant qu'insuffisamment. D’autre part, il exclut différentes formes d'exploitations telles que les communautés d'exploitation (efficientes), mais aussi les exploitations de très petites dimensions. Il semble politiquement problématique de se limiter aux exploitations recourant à un certain type de fiduciaires, qui utilisent à cet effet un logiciel propriétaire et décident en dernier lieu de la participation d'une exploitation. Les défauts mentionnés sont largement connus et font l'objet de la réforme actuelle appelée «ZA2015» qui vise, entre autres, à simplifier l'établissement du bilan et à introduire un échantillon statistique aléatoire. Du point de vue du CDF, cette réforme doit notamment permettre d’éviter une altération de la qualité des données. Il est donc judicieux que davantage d'échanges critiques sur le calcul des revenus aient lieu dans les milieux spécialisés. Les mesures de réforme vont dans une bonne direction, mais leur réussite dépend d'objectifs clairs et d'une mise en œuvre optimale.
Comparaison des revenus: des améliorations possibles mais dans certaines limites
A l'heure actuelle, la comparaison des revenus confronte le revenu du travail par unité de main-d'œuvre familiale (revenu net par personne dans l'agriculture) au salaire d'un employé des secteurs secondaire et tertiaire, laquelle est marquée par un grand nombre de restrictions de principe. D’abord, parce que le revenu du travail agricole constitue une valeur théorique dont le calcul prend en compte la déduction d’un intérêt calculé sur le capital propre investi dans l'exploitation. Une restriction de principe de la comparaison des revenus réside ainsi dans le fait que des indépendants sont comparés à des salariés. De plus, le produit du travail ne fournit qu'un aperçu limité de la situation économique, car les exploitations agricoles sont en majorité des entreprises indépendantes et la réussite d'une entreprise dépend de nombreux facteurs. En particulier, les exploitations gérées au titre d’activité accessoire ne visent pas forcément à obtenir une indemnisation maximale du travail dans l'agriculture, mais plutôt un revenu cumulé plus élevé (c’est-à-dire que les revenus en dehors de l’agriculture sont importants). Dans bon nombre de cas, la minimisation de la charge de travail figure aussi au premier plan. Enfin, le groupe des exploitations dites «performantes sur le plan économique» n'ayant pas encore été clairement défini, il fait l'objet d'interprétations divergentes.
Plus d'informations nécessaires pour dépeindre la situation dans l'agriculture
Il a été relevé à plusieurs reprises qu'il n'est guère possible d'évaluer la situation agricole dans son ensemble avec un nombre réduit d'indicateurs. Le concept de développement durable de l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) prévoit une série d'indicateurs écologiques, sociaux et économiques qui constituent une meilleure base pour un monitoring équilibré du secteur agricole et permettent de mieux soutenir les décisions en matière de politique agricole.
Les milieux concernés s'intéressent beaucoup aux chiffres clés concernant la situation économique dans l’agriculture. C'est pourquoi il convient d'encourager une publication appropriée des données et des informations disponibles. Outre les effets désirés – tels que le renforcement de la transparence et la formation de l’opinion – il est nécessaire de prendre en considération les effets non désirés comme, par exemple la formation d’opinions erronées, voire même des prises de décisions inappropriées en raison d’analyses et de présentations de données incomplètes. Certaines recherches montrent que le revenu du travail par unité de main-d'œuvre familiale et que le revenu agricole prennent beaucoup (trop) de place dans les médias et les débats politiques, alors que d'autres paramètres importants ne sont guère pris en considération. Comme l'évaluation de la situation économique est coûteuse, méthodologiquement complexe et sujette à erreurs, le CDF estime que cette dernière, ainsi que les rapports, doivent être réalisés avec beaucoup de soin et de manière équilibrée. Au vu de ces résultats, le CDF formule les recommandations suivantes:
Recommandation 1: Revoir la manière d'établir les rapports concernant les revenus et la situation économique générale dans l'agriculture pour apporter une meilleure information, d'une part, sur la complexité d'une exploitation/d’un ménage agricole, et, d'autre part, sur la diversité des situations au sein de l'agriculture.
Recommandation 2: Procéder à des examens complémentaires concernant un renforcement de l'utilisation des sources de données existantes et/ou supplémentaires afin d'obtenir des estimations plus appropriées de la situation en matière de revenus et de consommation des sous-groupes de population pris en compte dans les comparaisons.
Recommandation 3: Introduire dans les mesures de réforme (ZA2015) un monitoring interne ainsi que la diffusion de rapports montrant les conséquences de la réforme sur les résultats publiés.
Recommandation 4: Prévoir à moyen terme, en se fondant sur la mise en œuvre des recommandations précédentes, une vérification des hypothèses de base et, le cas échéant, une précision des normes législatives concernant le calcul et la comparaison des revenus.
L'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) et Agroscope Tänikon-Reckenholz (ART), en tant que premiers concernés, accueillent favorablement les recommandations du CDF et affirment dans leur prise de position leur volonté de mettre en œuvre les recommandations. L’OFAG et ART prévoient à l’avenir d’adapter l’établissement des rapports aux différents aspects des revenus agricoles, de former un groupe de travail dès 2013 pour recourir à d’autres sources de données, de structurer de manière nouvelle l’organisation des processus de dépouillement centralisé, ainsi que de réaliser une évaluation après la mise en œuvre de la réforme en 2018.