L’essentiel en bref
Les mesures d’accompagnement ont été introduites le 1er juin 2004 à la suite de l’entrée en vigueur de l’accord sur la libre circulation des personnes négocié dans le cadre des accords bilatéraux avec l’Union européenne (bilatérales I). Elles ont pour but d’éviter que l’assouplissement de l’accès au marché suisse du travail par les travailleurs étrangers n’entraîne une détérioration des salaires et des conditions de travail en Suisse (sous-enchère salariale et sociale). Ces mesures consistent en des contrôles du respect des conditions salariales et sociales auprès des travailleurs détachés d’une part et, d’autre part, en cas de sous-enchère abusive et répétée observée dans un secteur d’activité, en l’extension facilitée de convention collective de travail ou l’édiction de contrats-types de travail fixant des salaires minimaux.
Depuis l’introduction des mesures d’accompagnement, de nombreuses questions se sont posées sur leur application et leur efficacité. Dans ce contexte, le 21 juin 2010, la sous-commission compétente des Commissions de gestion des Chambres fédérales a chargé le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA) de procéder à une évaluation de la surveillance et des effets des mesures d'accompagnement à la libre circulation des personnes.
Aperçu des résultats
La libre circulation des personnes a un impact certain sur l’économie suisse. Cet impact s’illustre notamment par l’augmentation de la consommation, de la demande de logements, mais aussi en termes d’offre de main-d’œuvre, que celle-ci soit complémentaire ou concurrente à la main-d’œuvre indigène. La présente évaluation ne porte aucun jugement sur l’impact général de la libre circulation des personnes sur l’économie suisse. Seuls les effets de la libre circulation des personnes sur les salaires ont été analysés de manière à déterminer si, durant l’ouverture du marché suisse du travail et malgré le déploiement des mesures d’accompagnement, des pressions salariales ont été occasionnées.
Les problèmes identifiés par cette évaluation se situent à des niveaux complexes pour leur résolution. La marge de manœuvre souhaitée par le législateur rend difficiles le pilotage et l’application cohérente des mesures d’accompagnement. En effet, les organes d’exécution, tant paritaires, tripartites que cantonaux, exécutent les mesures prévues à des degrés divers de cohérence et de conformité.
Des pressions salariales réelles, de la sous-enchère indétectable
L’étude réalisée a permis d’établir que l’offre de main-d’œuvre résultant de la libre circulation des personnes a effectivement exercé une pression sur les salaires.
Bien que l’existence de pressions salariales soit avérée, il n’est pas possible de conclure sur la présence ou non de sous-enchère salariale abusive. Le fait que la sous-enchère abusive et répétée n’ait pas été définie par le législateur rend l’identification d’une telle situation difficile car dépendante de la pratique des cantons en la matière. En effet, les critères permettant de constater de la sous-enchère salariale par les cantons ne sont pas toujours définis, communiqués, voire appliqués. Des observations sur le terrain indiquent toutefois des écarts de salaires très importants dans certains cas.
Une application partielle et différenciée des mesures d’accompagnement
Les mesures d’accompagnement sont appliquées de manière variable selon les organes d’exécution. Les mesures ont tendance à se limiter aux contrôles et aux dispositions prévues par les conventions collectives de travail sans que des sanctions ne soient prononcées au titre de la Loi sur les travailleurs détachés (Ldét) ou que les autres instruments tels que l’extension facilitée de convention collective de travail ou l’édiction d’un contrat-type de travail ne soient pleinement appliqués.
Les problèmes d’application diffèrent selon le type de réglementations s’appliquant à une branche :
– Ainsi, dans la plupart des branches où une convention collective de travail étendue au niveau national existe, les contrôles ne donnent pas lieu à des sanctions au titre de la Ldét faute de transmission des cas aux autorités cantonales.
– Dans la plupart des branches où une convention collective de travail étendue au niveau cantonal existe, la quantité et la qualité des données ne permettent pas de conclure si les mesures d’accompagnement sont correctement voire réellement mises en œuvre.
– Dans les domaines de compétences des commissions tripartites, les stratégies cantonales de contrôle et les méthodes utilisées ne permettent pas, dans la plupart des cas, d’identifier des pratiques de sous-enchère abusive et répétée. Dès lors, les instruments prévus dans ce cas de figure (extension facilitée de convention collective de travail, contrat-type de travail avec salaires minimaux) ne peuvent pas être appliqués.
Un pilotage tardif, complexe et mal ciblé
Les différences évoquées en matière d’application ont été facilitées par le peu de soutien de la Confédération durant les premières années de mise en œuvre des mesures d’accompagnement. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a commencé à rattraper son retard dès 2008 ainsi qu’à prendre connaissance des problèmes d’exécution. Grâce à l’engagement de la Direction du travail du SECO et du Centre de prestations compétent, il a développé une stratégie de qualité pour répondre aux buts fixés par les bases légales.
Néanmoins, les problèmes d’application sont en grande partie déjà connus depuis quelques années et les pratiques inadaptées de certains cantons et commissions paritaires auraient d’ores et déjà dû donner lieu à une reprise en main du système par l’engagement du Conseil fédéral. A l’heure actuelle, le pilotage n’est pas en mesure de s’appuyer sur des données fiables et de connaître par exemple le nombre réel d’infractions en matière de salaire ou comment les commissions paritaires répartissent et financent les contrôles. Le fédéralisme d’exécution ainsi que l’organisation différenciée et complexe des commissions paritaires rendent le pilotage prévu très difficile à réaliser.
Etant donné le but initial des mesures d’accompagnement relatif à la lutte contre la sous-enchère salariale et sociale, le pilotage stratégique pose un problème majeur du fait de sa cible principale – les travailleurs détachés – qui est extrêmement étroite : près de la moitié des contrôles et trois quart du budget des mesures d’accompagnement sont affectés aux contrôles des travailleurs détachés qui, pourtant, ne représentent que 0.5% du volume d’emploi au niveau national.
Le système des mesures d’accompagnement est bâti sur l’un des fondements de l’économie suisse, à savoir les relations entre partenaires sociaux. La place prépondérante des commissions paritaires dans l’exécution des mesures d’accompagnement est justifiée par le fait que les branches couvertes sont des branches sensibles du point de vue de la qualification de la main-d’œuvre, du niveau des salaires et du type de travail soumis à concurrence. Toutefois, en termes de couverture quantitative, ces domaines ne représentent qu’une faible partie des personnes occupées (13%) alors qu’ils comptent pour près de la moitié des contrôles effectués. De plus, l’étude réalisée sur la base de l’enquête suisse sur la structure des salaires a pu établir que les pressions salariales ne se sont pas seulement produites dans les branches considérées comme étant les plus sensibles. Dès lors, il convient de s’interroger sur l’adéquation des priorités fixées et des cibles des mesures d’accompagnement.
En outre, les mesures d’accompagnement évoluent au gré des discussions politiques menées sur la thématique de l’ouverture des marchés et de l’extension à de nouveaux pays de l’accord sur la libre circulation des personnes. Le développement des mesures d’accompagnement n’est pas basé sur des faits établis quant à leur efficacité.
Une communication inadaptée
Les constats en matière d’(in)efficacité des mesures d’accompagnement ou d’absence (ou de présence) de sous-enchère salariale, portés sur la base des données connues à ce jour, ne sont pas justifiés. Ils conduisent à transmettre une image de la mise en œuvre qui n’est pas celle de la réalité.
En effet, toute conclusion, qui se fonde actuellement sur des données incomplètes et peu fiables, ainsi que sur des moyennes nationales, n’a aucun sens dès lors que la libre circulation des personnes se manifeste différemment selon les régions et que les cantons appliquent par ailleurs les mesures d’accompagnement de manière très différenciée.